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Entretien avec Art Act • Mycore

Dans le cadre du cycle thématique Hier c’était demain : science-fiction et imaginaires collectifs  [1]

Artistes accueillis en résidence durant le Temps 1 – Planète interdite (anthropocène) [2], Sandra et Gaspard Bébié-Valérian (Art Act) [3] intègrent dans leurs œuvres des matériaux organiques. Chez eux, les organismes vivants sont appréhendés à travers leurs capacités médiatrices, dévoilant une nouvelle compréhension du monde qui nous entoure.

Le vivant, son potentiel et sa force, est abordé dans vos œuvres à travers une démarche scientifique. Peut-on qualifier vos installations d’hybridation ?

Oui, on n’hésite pas à travailler sur des modes transversaux dans les formes et à s’appuyer aussi sur des méthodologies qui ne sont pas forcément scientifiques. L’hybridation est importante parce qu’elle permet de ne pas se cantonner à un seul champ.
Dans notre travail, nous avons tendance à parler aussi de limites. On tend quand même plus vers la dystopie que l’utopie.

 

La science mais aussi la magie, le sauvage, sont des notions présentes dans votre travail, pensez-vous que nous allons pénétrer dans l’ère du techno-paganisme, où la technologie ferait l’objet d’un culte ?

Je pense que le techno-paganisme existe déjà. Je pense qu’il est même, à l’origine, intégré dans l’idée même de technologie.

Le fait pour moi d’être soumis à de la production technique est un bon exemple. Lorsque
je code, je code d’une certaine façon et je pense que ce code est reconnaissable, il est distinct d’un autre, parce qu’il est une extension de ma façon de penser.
Pour moi, le techno-paganisme c’est ça, c’est cette capacité à penser des forces qui nous entourent.

 

Pour Arthur C. Clarke, auteur de science-fiction, « toute technologie suffisamment développée se confond avec la magie », êtes-vous d’accord avec ce principe ?

Oui. Il y a un anthropologue qui a travaillé sur les populations d’Amazonie, c’est Edouard Viveiros de Castro ; il parle, lui,  de communication transversale entre les incommunicables, c’est-à-dire que la magie possède quelque chose d’incommunicable.
D’un côté, il y a un discours un peu dominant, une sorte de véracité des sciences et, de l’autre côté, nous vivons dans une société qui cherche toujours l’émerveillement, le fait de croire dans des choses qui relèvent de la magie.

 

Vos récents travaux portent sur le règle fungi et le potentiel des champignons.
En quoi la médiation par le champignon vient s’inscrire dans l’exploitation du potentiel fungi ?

Nous, on l’a vu plus d’un point de vue poétique. Ce qui nous intéresse, c’est comment on peut utiliser le champignon pour nous corriger. L’appréhender comme un remède pour nous remettre dans un chemin plus en symbiose avec la nature.

 

Le physarum par exemple, est un blob à la croissance phénoménale et capable de mémorisation spatiale.  Jusqu’où peut-on pousser les expériences ?

Dans les expériences qui ont été faites, des chercheurs ont créé un jeu de go avec le physarum, sachant que le jeu de go est hyper complexe, le potentiel est donc énorme.

Le physarum est utilisé pour sa puissance de calcul, sa capacité à résoudre des problèmes par le déplacement. Le physarum peut potentiellement devenir un réseau qui transporte de l’électricité, qui s’auto-répare et qui va chercher son chemin. On peut faire plein de choses, par exemple connecter le physarum à une planche de ouija, la planche de communication utilisée par les médiums. Nous sommes dans cette logique là, sur des approches ambivalentes, comme utiliser le physarum dans des conditions non logiques.

 

Peut-on espérer un dialogue inter-espèces exempt de notion de domination ?

Effectivement, il peut y avoir dialogue, en tout cas il peut y avoir des effets de réaction, d’action-réaction, par contre je ne crois pas à la notion de langage, peut-être une forme dialogue rudimentaire mais je me méfie de la notion de langage avec des entités non humaines. Je parlerais plutôt de questions-réponses, de stimulus, de feedbacks, quelque chose qui aille dans ce sens là.

 

Qu’est-ce qu’évoque pour vous le thème de la résidence « Hier c’était demain »?

Pour moi, c’est le fait que tout est relatif et que lorsque l’on réfléchit en terme de temporalité, en réalité on réfléchit selon notre temporalité.
On ne peut plus se dire que la science-fiction nous offre des mondes imaginaires, ancrés uniquement dans le futur. On peut faire également du rétrospectif. Le futur que l’on prédit dans 20 ans, est en réalité déjà obsolète.

 

Entretien réalisé par Aurélien Montinari en mars 2019