Dans le cadre du cycle thématique Hier c’était demain : science-fiction et imaginaires collectifs 

Artiste transdisciplinaire accueillie en résidence durant le Temps 1 – Planète interdite (anthropocène)Rocio Berenguer interroge notre prétendue position dominante dans le règne vivant ainsi que notre rapport à l’altérité. Elle tente d’engager un dialogue entre toutes les espèces.

Le corps, son expression, sa mise en scène tient un rôle important dans votre travail. Comment le corps peut-il devenir un moyen d’interroger les nouveaux médias ?

Interroger le numérique c’est trop large, je ne saurais pas comment m’y prendre.
C’est vrai que le corps a une place assez centrale dans mon œuvre. Je pense qu’il y a beaucoup de stratégies, soit politiques, soit culturelles, qui passent justement par le corps. En fait nos corps sont souvent chorégraphiés par des designers, par les designers de certaines technologies, de certains espaces, de certaines logiques, donc en fait le corps, pour moi, c’est une matière qui absorbe ces formes. C’est un terrain de lutte aussi, de résistance, je parle de dramaturgie du corps.

Avec le dispositif G5 et le IOFLE, vous considérez le futur de l’homme à travers le déclin de sa position dominante et via le dialogue entre les espèces (animal, minéral, végétal, machine, humain). Comment vous est venue l’idée de donner voix au chapitre à toutes les espèces ?

J’essaye d’explorer par l’imaginaire tous les possibles. Pour moi, il y a une question d’interdépendance qui est primordiale, c’est juste que dans notre culture, nous, les humains, nous avons créé des rapports de hiérarchie en pensant que l’on peut tout dominer. C’est ce rapport là que j’essaie de réinterroger : détrôner l’humain du centre du cosmos.

Dans le dialogue inter-espèces intervient également l’Intelligence Artificielle. Pensez-vous qu’une création puisse être considérée comme une espèce à part entière ? Quelle est pour vous la définition d’une espèce ?

Dans cette proposition, c’est ce que j’essaie de défendre, oui.
« Si on crée des esclaves on devient des esclaves » et donc, si on crée des machines-esclaves on devient des esclaves de ces créations. L’intérêt de la création c’est que l’on soit ouvert à un plus grand nombre d’altérités sans rapport de hiérarchie.
On peut avoir des ennemis, on peut ne pas aimer l’autre, mais au moins l’autre existe et c’est ça le point important : considérer l’existence de l’autre, ne pas le voir comme un objet mais comme un sujet.

Que ce soit à travers des systèmes de communication inter-espèces (SEMIC, EECCS) ou dans notre rapport à la prédation et à l’alimentation (WAF), vous prônez une horizontalité des rapports où toutes les espèces sont considérées comme des sujets. Pensez-vous que l’humain est prêt à donner la parole aux autres espèces, à abandonner sa position dominante ? Saura-t-il écouter ?

Je pense que je ne peux pas répondre, je ne suis pas l’humanité (rires). Je peux répondre pour moi, moi je suis prête ! On est quelques-uns à être prêts, pour les autres, je ne peux pas répondre !

Dans une fiction où l’Homme ne serait plus le seul à dicter ses lois et qui mettrait en scène la fin de l’anthropocène, quelles pourraient être les velléités des autres espèces ? Irions-nous vers plus d’harmonie ou, au contraire, plus de chaos ?

Je crois qu’on serait obligé de sortir de la binarité, du mal ou de l’harmonie, parce que l’on serait obligé d’intégrer la complexité et dans la complexité il n’y a pas de bien ou de mal. Si des tigres sauvages sont lâchés dans la ville, et qu’ils ont le même statut que moi, je n’aurai pas le droit de les dominer, mais comme leur logique alimentaire est différente de la mienne, moi ça ne m’arrangera pas, ça va être un problème pour moi et tous les humains donc il va falloir trouver un système, un arrangement, pour ne pas se faire dévorer !

Le nom de votre projet, G5 Inter-espèces, évoque explicitement les discussions économiques, sociales et politiques du forum du G7. En quoi la science-fiction a-t-elle partie liée avec ces domaines ?

Oui, je crois, il y a effectivement un lien avec le politique. Il y a un côté provocateur aussi peut-être. Ces dirigeants du monde se réunissent à 7, à 20, pour décider de comment on va vivre tous, les 7 milliards d’humains. Ce n’est évidemment pas aussi simple que ça, mais pour caricaturer, c’est un peu ça, aujourd’hui, le monde. Dans mon projet, on serait 5 mais pas que des humains, l’humain ne représenterait qu’une seule espèce.

Qu’est-ce qu’évoque pour vous le thème de la résidence « Hier c’était demain » ?

« Hier c’était demain », ça m’évoque des futurs déjà passés. Des images du futur qui sont obsolètes aujourd’hui.

Entretien réalisé par Aurélien Montinari en mars 2019
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