Biologiste de formation, Brigitte Wild a travaillé en Afrique sur divers sujets, comme par exemple, la sensibilisation au SIDA. Pédagogie et empathie sont au cœur de son approche.

Entretien mené par Aurélien Montinari

 

Aurélien Montinari : Brigitte, pour te présenter, tu dis être « une faiseuse d’expérience interculturelle« , qu’entends-tu par-là ?

Brigitte Wild : Ce terme est inspiré de mon vécu, de mes passages dans de nombreux pays. Ce parcours commence à se répandre, actuellement, nous sommes de plus en plus nombreux à voyager, à se déplacer, à s’installer dans d’autres pays que celui de notre origine. A partir de là tu développes des échanges.

Cette expérience d’échanges c’est par exemple le fait de venir avec une idée et de te rendre compte que quelqu’un d’autre ne réagit pas à ton idée, pas comme tu le pensais. En amorçant le dialogue, en questionnement ensemble, voilà comment se crée une expérience interculturelle pour moi.

Tous, nous avons un axe principal qui est notre culture, notre base. Lors de tes premiers échanges internationaux tu communiques avec ta propre logique de travail et tu te confrontes à quelqu’un qui a une toute autre logique, c’est très déroutant. Tu te demandes pourquoi toi tu ne fais pas comme ça ? C’est en ayant cette ouverture et cette écoute, que tu prends du recul, tu t’enrichis de cette diversité et c’est réciproque.

Ainsi de suite, tu prends du recul et tu apprends toujours plus.

 

A.M. : Tu as une formation de biologiste, comment cette formation scientifique influence-t-elle ton travail d’artiste ?

B.W. : Je ne sais pas si c’est moi, dans ma démarche personnelle qui a trouvé dans la science le moyen de m’exprimer ou si c’est la science qui a développé ce moyen d’expression chez moi.

Je me suis tout d’abord intéressée à l’ADN, à l’époque c’était le début du clonage, le séquençage du génome. Sûrement que ma formation a ajouté des briques à l’édifice, l’a complété. Au fond, j’avais déjà une appétence de découvertes, un besoin de nouveauté, de différence.  J’aimais la multiplicité des informations, les angles d’approches différents dans la recherche, j’ai alors réfléchi à comment les appliquer à d’autres domaines.

 

A.M. : Théâtres, faux tribunaux, tu utilises souvent la mise en scène dans ton travail. Comment en es-tu venue à considérer cet outil ?

B.W. : Dans l’exemple de la sensibilisation à la lutte contre le SIDA, dans un premier temps, des cartes pour exposer le sujet étaient le support choisi.  C’était comme un jeu de table.

Mais je trouvais que pour impliquer plus les jeunes, j’avais vraiment besoin qu’ils construisent leurs propres connaissances. De là est venue l’idée d’utiliser un médium qui les touche, comme le théâtre, une mise en situation, dans l’espoir de les stimuler un peu plus. On voulait qu’ils ne soient pas seulement des éponges qui absorbent des informations, mais aussi des éponges capables de restituer leur travail et d’y réfléchir.

La société marocaine est plutôt dans la communication orale, qu’écrite, je trouvais que les plaidoyers étaient un meilleur moyen d’utiliser ce qu’ils savent faire.

Pour le Burkina, la démarche a été similaire. Dans la vie quotidienne, il y a des mises en scène tout le temps. Tout d’abord, ce sont eux qui m’ont présenté une petite pièce qu’ils avaient improvisé. A ce moment-là, voyant leur naturel d’expression, je me suis dit que cette approche de la salle de classe était meilleure que de rester, comme nous on avait l’habitude de faire, assis dans la classe à faire un cours. C’était pendant les vacances scolaires, venait qui voulait, pourquoi les obliger à rester assis dans un cercle rigide ? C’était plus légitime de le faire de cette façon ; on rentrait dans leurs habitudes.

 

A.M. : Tu travailles sur la question de la mondialisation, de l’accès aux nouvelles technologies de communication. Je vais me faire l’avocat du diable mais comment la VR pourrait-elle bien produire de l’empathie ? Côté dialectique, comment rapprocher les gens avec une technologie qui isole ?

B.W. : C’est un peu voulu de le questionner de cette façon, c’est précisément ces questions que je me pose et que je pose par ma démarche.

L’utilisation actuelle de la VR, c’est d’immerger les personnes dans des mondes souvent venus du jeu vidéo. Les documentaires de voyages, parfois très lointains (constellations), les expériences scientifiques elles aussi s’en emparent…

Ma démarche consiste à découvrir un environnement, essayer d’observer, interagir, pour petit à petit noter les différences, et en prendre conscience grâce à l’immersion de la vidéo à 360°. La finalité serait de comprendre les tenants et aboutissants du quotidien de quelqu’un d’autre. Ce n’est pas que le visuel qui est important, c’est aussi toute la mise en situation et le questionnement que cela provoque. Je ne veux pas aller jusqu’au jeu vidéo où tu passes des niveaux, mon but est plutôt de laisser place à une itinérance personnelle, une individualité d’expérience. Cela pourrait se rapprocher des livres dont tu es le héros.

Et justement, comme tu es isolé, tu es plus à même de rentrer dans cet univers-là, c’est aller plus loin que de regarder un reportage à la télé, où tu restes dans ton environnement.

Je souhaite travailler sur cet itinéraire dans l’expérience VR. Elle sera assez courte pour éviter tous les inconvénients, comme les nausées déjà reportées, par exemple. Cependant, créer un malaise est recherché. Il faut qu’on puisse se dire : « je suis quelque part d’autre, c’est différent, il faut que je me débrouille différemment », voilà le malaise que j’ai envie de provoquer.

Là, l’immersion sera réussie, tu auras vraiment l’impression d’être avec ces personnes et un certain degré d’empathie pourra se développer, ou du moins je l’espère. C’est un message compliqué à faire passer, ce sentiment d’empathie. Ce mot est utilisé dans tous les sens mais c’est finalement le mot qui convient car il parle à tout le monde.

 

A.M. : Pour en revenir à l’accès à la technologie, tu parlais des clivages qui peuvent exister : tout le monde n’y a pas accès. La VR, de tous ces nouveaux appareils, reste celui qui est difficilement accessible pour le moment. Tu as choisi un dispositif qui est plutôt rare, plutôt couteux et du coup pas nécessairement accessible à tout le monde.

B.W. : Il y a eu beaucoup d’avancées dans la VR, c’est hors de prix oui et non.

Je me suis effectivement confrontée à cette difficulté. Pour commencer, j’ai étudié les propositions du marché actuel, j’ai choisi des dispositifs (caméra, logiciels, support casque…) qui puissent être accessibles en termes de coûts, de disponibilité et facilement transférables.

Pour une visée pédagogique du projet, le budget de fonctionnement est primordial.

La technologie n’est pas une fin en soi, c’est un outil. L’objectif est de sensibiliser. La technologie dernier cri n’est pas ma démarche mais la connaissance des moyens, oui.

Par exemple, un Google Cardboard pour une première expérience dans des pays d’Afrique, c’est déjà énorme. Une petite interface, un peu de réseau, d’électricité et le tour est joué. Encore faut-il tomber au bon moment de connexion ! Un challenge à expérimenter. Dans ces pays, la communication occupe un rôle primordial, c’est un atout pour ce projet.

 

A.M. : L’aspect pédagogique de ta démarche, d’éduquer à la VR et à travers la VR, le mélange des deux me fait me demander si l’hyperface, c’est le dispositif ou ce qu’on en fait ? Est-ce que l’hyperface c’est le fait de créer des films avec des étudiants ou le fait d’utiliser la VR ?

B.W. : Pour moi la VR c’est un outil qui permet de faire réagir, qui permet d’enseigner différemment. Ce que je souhaite, c’est créer de l’empathie grâce à cette immersion.

Le fait de créer ce contenu avec des étudiants, ici, au Shadok, de faire le film avec les étudiants, c’est déjà une première démarche d’apprentissage, d’écoute de l’un à l’autre, de présentation et de partage de leur propre environnement.

L’étape de partage de la création et la possibilité de commenter, d’exprimer ses sensations, son expérience avec le dispositif, est une seconde immersion participative.

 

A.M. : À propos du malaise, pour rentrer plus dans l’aspect technique, tu parles des effets positifs et négatifs de la VR dans sa dimension cognitive. Pour moi la VR c’est comme rentrer dans un grand huit, c’est marrant quelques minutes, tes sens sont complètement désorientés, mais très vite ça devient épuisant. Personne n’a envie de rester dans un grand huit pendant une heure….

B.W. : Je suis tout à fait d’accord avec toi, je fais le même constat. Cependant, plusieurs utilisations existent. Certes, les plus médiatisées sont celles qui jouent avec tes sens et trompent ton cerveau. Ce malaise-là non, ce n’est pas ça que je cherche dans mon travail.

D’autres contenus, expérimentés par des journalistes, des cinéastes, essayent d’utiliser la VR et sa capacité de nouvelle écriture. J’ai eu l’occasion d’en rencontrer quelques-uns, leur constat est de travailler le scénario pour améliorer l’immersion. C’est dans cette direction que j’oriente mon travail.

 

A.M. : Tu parles de créer des codes de conduite de la VR. Est-ce que tu penses qu’on va devoir aller vers une éthique de la VR ? Comment on appliquerait cela ? Est-ce que le but c’est de lister des choses à ne pas faire pour ne pas rendre les gens malades ou de condamner certaines représentations ? De quoi on parle quand on parle d’éthique de la VR ?

B.W. : Les premières conclusions de recherches menées sur les effets de la VR préconisent une certaine démarche et alertent sur certains contenus et pratiques. Pour l’instant il n’existe pas vraiment de comité d’éthique de la VR. Nous sommes aux balbutiements, mais si la VR prend encore plus d’ampleur, il faudra sûrement se reposer la question.

Pour l’instant cette question n’est pas posée clairement mais les dangers existent : qu’est-ce qui est vrai ? qu’est-ce que j’ai fait ? comment dissocier réel et virtuel ? Dans certaines situations, dissocier soulève une vraie problématique de notre société en évolution.

Avec la VR, tu es immergé dans des mondes de plus en plus vraisemblables, est-ce qu’il n’y a pas un danger de ne plus avoir conscience des limites entre la réalité et la virtualité ? Mais, les livres, les films n’ont-ils pas le même objectif, nous faire rêver et découvrir autre chose et nous-même…

 

A.M. : Le thème de cette résidence c’est Interfaces versus rupture, demain c’est maintenant. Je voulais savoir ce que cela t’évoque et quelle est ta définition des hyperfaces.

B.W. : Il y a tellement de choses…

Je dirais que chacun de nous a différentes facettes, plusieurs micro-personnalités, un jour un peu plus dans une direction que dans une autre, une envie ou une autre. Les interfaces sont des canaux à utiliser selon ses humeurs. Un jour, le choix s’oriente plutôt sur ce domaine-là parce que l’on recherche un peu de fun, un autre jour, une envie d’avoir une réflexion plus poussée, qui nous dirige vers une autre plateforme. Pour moi, les différentes facettes des hyperfaces, c’est un rapport à soi et à comment nous souhaitons nous exprimer suivant notre humeur et notre envie de communiquer.

Ces approches différentes permettent de tout voir mais pas qu’à travers une seule méthode. Un projet n’a pas qu’une seule face, c’est ce qui est intéressant dans la Résidence : le fait d’être plusieurs, d’avoir une ouverture la plus large possible et des points de vue différents selon les acteurs. C’est très riche.

La rupture, pour moi, c’est la peur, le rejet des technologies, et par conséquent l’absence d’accès à cette technologie, être mis de côté. Il faut travailler justement pour que les gens aient, le plus possible, une notion, une possibilité d’apprivoiser ces technologies, ces avancées, pour pouvoir les intégrer et ne pas creuser les inégalités mais au contraire, les estomper.

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