Touche-à-tout prolifiques, Gwénaëlle Bertrand et Maxime Favard, fondateurs du studio maxwen, interrogent le potentiel et les enjeux du design.

Entretien mené par Aurélien Montinari

 

Aurélien Montinari : Designers, chercheurs, enseignants, comment ces différents statuts s’organisent-ils, interagissent ?

maxwen : Ces différents statuts sont complémentaires et nous permettent d’envisager le design sous ces diverses formes. Enseigner par exemple, est le meilleur moyen d’apprendre puisque non seulement, on se doit de construire un discours intelligible tout en nous efforçant d’actualiser nos connaissances, mais aussi de trouver les moyens de transmettre.

 

A.M. : Qui est maxwen, comment fonctionne-t-il ?

maxwen : maxwen est une entité hybride qui évolue à travers des rencontres et opportunités.

 

A.M. : J’aimerais aborder avec vous le thème de l’empathie. Je vais me faire un peu l’avocat du diable. Les nouvelles technologies sont souvent abordées d’un point de vue technophobe, comment l’empathie pourrait venir se loger au cœur des hyperfaces ? Ne serait-ce pas plutôt un simulacre d’empathie ? 

maxwen : Nous n’avons pas l’impression que l’empathie soit au cœur de notre travail mais effectivement c’est une notion que nous trouvons intéressante. Elle suppose de prendre du recul face à une situation, de ne pas se laisser submerger par les émotions mais de les comprendre sans jugement moral. L’empathie semble tenir d’une indifférence à ce que l’on considère comme bon ou mauvais, c’est un mode de relation. C’est en ce sens que cette notion permet d’interroger les hyperfaces.

 

A.M. : Vous évoquez Michel Foucault et sa critique du biopouvoir étatique sur nos corps (réels et sociaux), est-ce que l’empathie pourrait justement être considérée comme une forme de contre-pouvoir, une résistance subversive ?

maxwen : Oui, si l’on entend cette dernière comme le moyen de repenser nos relations avec les autres et plus largement à l’environnement.

 

A.M. : La fusion de la technologie et des sentiments rejoint « l’humanisme difficile » de Gilbert Simondon, comment réconcilier justement culture et technique ?

maxwen : En appréciant le travail de Pierre-Damien Huyghe et sa définition de l’appareil.

(NB : « un appareil est une modalité technique distincte de l’outil et de la machine. Cependant il arrive que cette modalité se réalise dans un dispositif qui accepte aussi de fonctionner comme un outillage. Dans ce cas l’appareil s’adapte à l’ensemble des dispositions qui permettent en général à un outillage de servir ; il s’intègre au système de ces dispositions et ses propriétés spécifiques sont alors difficile à repérer« ,
Pierre-Damien Huyghe in [Plastik] n°3, Cerap/Presses de la Sorbonne)

 

A.M. : Je souhaiterais revenir sur votre statut de designer. Le designer a-t-il selon vous un devoir vis-à-vis des technologies ?

maxwen : Le designer questionne nos environnements et dans la mesure où ces derniers deviennent « intelligents », oui le designer est amené à porter un regard sur les technologies.

 

A.M. : Comment peut-il intervenir sur ces artefacts ?

maxwen : De différentes manières, parfois de façon pragmatique, d’autre fois sensible et critique ou encore, toutes à la fois. Ce qui apparait intéressant c’est le projet qu’il peut porter à travers la conception d’un artefact.

 

A.M. : Quand Marshall McLuhan dit que « le médium c’est le message », il met en avant la nature du média comme ayant plus de sens que le message lui-même, les hyperfaces ont-elles acquis cette autonomie ? Est-ce cela la socialisation de l’information ?

maxwen : Le médium participe du message mais nous ne pensons pas qu’il est à lui-seul le message. Nous sommes davantage sensibles à la notion de protoforme défendue par Alessandro Mendini.
C’est-à-dire, une mise en forme qui devient le message. Cela regroupe le médium mais également, tout le processus de conception. Ainsi, ce ne serait pas tant l’autonomie des hyperfaces qui impliquerait une socialisation de l’information mais plutôt, le projet dont elles relèvent.

 

A.M. : Vous évoquez l’utilisation de la théorie des systèmes dans votre travail, comment cette approche peut-elle expliquer le fonctionnement des hyperfaces ? Dans le même ordre d’idées, vous parlez « d’un paysage qui modifie nos usages », ne serait-ce pas une boucle rétroactive, les hyperfaces ont-elles à voir avec la cybernétique ?

maxwen : La cybernétique est intéressante car elle définit d’abord, des dispositifs de pilotage automatique que l’on retrouvait dans l’aviation pendant et surtout après la Seconde Guerre mondiale. Il s’agissait d’une machine capable d’influer sur son propre protocole. Mais entendue comme l’art de gouverner ou du moins de réguler automatiquement un grand ensemble de données, on peut effectivement se demander s’il existe une variable capable d’influencer la boucle au point de la faire évoluer. Toute l’ambivalence de la cybernétique réside en cela puisqu’elle suppose à la fois, la faculté d’homéostasie par laquelle les deux antagonismes équilibre et déséquilibre coopèrent pour maintenir l’ordre et également, celle de l’autopoïèse comme facteur d’émancipation. Ce système est en soi étonnant car il tolère et coordonne la variable. En cela, on peut dire que les hyperfaces sont une forme de cybernétique et donc de systémique sociale.

 

A.M. : Qu’évoque pour vous le thème de cette résidence, Interfaces versus ruptures. Demain c’est maintenant ? Quelle serait votre définition des hyperfaces ?

maxwen : C’est une manière de réfléchir aux implications du numérique dans notre quotidien et l’occasion de témoigner de certains enjeux. Selon nous, les hyperfaces relèvent des flux, d’une cartographie immatérielle de nos modes d’existence et aussi de la nécessité de penser les interactions entre le vivant et l’artificiel comme un enjeu de société. Se poser la question des hyperfaces, c’est aussi engager une pensée de l’hybride et c’est ce qui justifie le titre de notre projet : Hybrisphère.

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